Okupas Deluxe, ces squats haut de gamme

A LA FIN DU MOIS D’AVRIL LA CASABLANCA CÉLÉBRAIT DEUX ANS DE RÉSISTANCE.

4000 m2 destinés au logement de luxe, on a pourtant sommé les ouvriers de déposer les outils. Le 23 de la rue restera inachevé, ses investisseurs dévorés par une crise immobilière qu’ils on couvés. Mais un groupe d’occupants en a décidé autrement, le quartier Madrilène de Lavapiés a désormais sa « maison blanche ».

Avant les 19h, de larges panneaux de bois bloquent l’entrée du bel édifice bariolé. Centre Social Occupé et Autogéré, revendique le cartel, les baroudeurs tilteront, avec en tête le Tacheles de Berlin ou Les Tanne- ries de Dijon. Des lieux qui échappent au contrôle étatique et mettent en place leur propre fonctionnement interne, selon des convictions similaires. Ici ni hiérarchie ni parti politique, on s’organise de manière auto- nome et horizontale via un système assembléaire. Mais la Casablanca attire l’oeil, façade fraichement refaite, elle semble d’un nouveau genre.

UN BÂTIMENT CLASSÉ « Le logement de luxe a toujours des clients ». Voilà ce que déclarait Carlos Monteverde de Mesa dans une interview au journal El Mundo en 2006. À l’époque, l’immeuble lui appartient. Tout comme quelques autres 140.000 m2 à Madrid , Barcelone, Londres ou encore Paris. Carlos Monteverde de Mesa est propriétaire à 90% du groupe immobilier espagnol Monteverde S.L, spécialisé dans l’acquisition et la réhabilitation d’édifices singuliers. 20 projets sont alors en cours, tous concernent des « édifices exceptionnels situés dans les zones les plus exclusives » comme le veut la philosophie de l’entreprise. Mêlant patrimoine architectural et design des plus modernes, elle œuvre dans l’immobilier de luxe.

Les numéros 21 et 23 de la rue Santa Isabel répondent aux critères. Construites en 1850, ces deux bâtisses ne font qu’une. Ancien lycée, elles jouissent d’un grade de protection intégrale accordé par la ville au regard de leur « valeur architecturale et signification culturelle exceptionnelle ». À mi-chemin entre le musée Reina Sofia et la Filmoteca española, on est pourtant bien dans le quartier populaire de Lavapiés. Ici la moitié des habitants sont d’origine étrangère, un mélange hétéroclite qui fait l’âme du quartier, l’un des plus vivants de la capitale.

REDESSINÉ PAR STARCK Acheté en 2004, l’immeuble aurait du se voir transformer en logements de hauts standing. Une superficie de 4.000 m2 destinée à accueillir 25 logements, 2 locaux commerciaux et 39 places de garage. Touche finale, l’aménagement est confié à la compagnie Yoo et plus précisément à son designer star, Philippe Starck. En 2006, Monteverde vend le projet au fond investissement AC Patrimonio Inmobiliario pour une valeur de 23,7 millions d’euros. La fin des travaux est alors prévue pour fin 2007, date à laquelle le bien aurait dû être remis clés en main à l’acquéreur. Mais en avril 2010, la société est liquidée. Aujourd’hui les bennes à l’entrée n’ont pas bougé.

REGGAE ET VEGAN FOOD « Cet immeuble est maintenant du quartier et des mouvement sociaux » déclare le site internet du CSOA qui reprend à son compte la philosophie de Monteverde : « Nous concevons le luxe comme une émotion, nos édifices ont une âme. ».

Au rez-de-chaussé, le sol est encore brut et les toilettes précaires. Mais empruntez la large cage d’escaliers de bois, et vous pourrez admirez les moulures au plafond et les trois étages refaits à neuf. Si pas de mal de fils électriques cherchent encore les ampoules, les lieux tiennent plus de la résidence moderne que du squat comme on en à l’habitude.

Du fond du couloir résonne un CD reggae, c’est la bibliothèque du 15-M qui vient d’emménager. Tout en classant une pile de livres, Zéké et Felix expliquent ce choix. « Des locaux en état c’est bien mais le plus important c’est pourquoi on est là. L’importance symbolique des lieux ».

Ironie du sort, ces okupas ennemis du capitalisme s’approprient aujourd’hui le luxe . Pour les squatteurs, l’avidité de Monteverde et de ses acolytes à conduit le pays à la crise, emportant les plus démunis sur leur passage. Car la crise, disent-ils, «non seulement nous ne la payerons pas mais nous allons la réinvestir […], en occupant leurs maisons abandonnées, en récupérant ce qu’ils ont volé, en le rendant à ceux à qui ça appartient «. Conscient d’être dans l’illégalité, ici on ne considère cependant pas l’occupation comme un délit. En choisissant cet immeuble, le CSOA s’oppose « au droit à accumuler des biens de première nécessité (comme le logement) » et à la spéculation. Mais la Casablanca est aussi un outil stratégique, elle fait partie de la vie du quartier et réunis des gens d’âges et d’horizons différents.

La Casablanca n’est pourtant pas à l’abri d’une intervention de la po- lice. En décembre 2011 Monteverde avait obtenu un ordre d’expulsion de l’Hôtel Madrid dont le groupe est également propriétaire. Endetté à hauteur de 170 millions d’euros, il a ensuite fait appel à un concours de créanciers. Carlos Monteverde de Mesa, accusé de spéculation et autre malversations peut lui semble t-il toujours compter sur la Justice.

LOKOMAMIA danse pour Madrid

Tomber amoureux dans le métro est impossible. Tout est fait pour que la foule vous embarque l’un et l’autre, vous perde et vous éloigne. Quand retentit le signal de fermeture des portes, c’est la fin, vous ne pouvez que guère chercher ses yeux pour quelques seconde de chaleur. Et pourtant, ce samedi 19 mai, la compagnie de danse LOKOMAMIA y est arrivée. De 19.00 à 20.00, métro Chamartín, spectateurs avisés ou passagers interpellés ont applaudis d’une seule salve la performance de la quinzaine de danseurs qui ne faisaient qu’un seul homme. Confiné entre quatre pans de tissu noir, sous un éclairage volcano-marin, portés par une musique et des voix de l’intime au rythmique, la scène et la salle se sont aimées.

LOKOMAMIA présentait hier son nouveau spectacle, « Paralelo 00:00 », et questionnait ainsi la condition humaine et la force de l’action sociale. Visages expressifs et osmose amicale, soudain sensuelle, une bouffée d’air qui vous coupe le souffle, un cocon de chaleur au croisement de deux lignes. Un message confirmé par Ruben Nsue, fondateur de la compagnie. « Que chacun d’entre vous qui ne se sent pas invisible lève la main », lance t-il à l’assistance. La réponse, une vague d’applaudissements vers le ciel, lui décroche un sourire énorme. Né à Madrid de mère guinéenne et de père camerounais, Ruben Nsue s’est d’abord formé à l’école de danse de Broadway grâce à une bourse, pour se spécialiser ensuite comme danseur de hip-hop à Londres. Des influences diverses que « Paralelo 00:00 » harmonise à merveille.

Un spectacle pré-ouvrant le MULAFEST’12, qui tiendra place à Madrid du 11 au 15 Juillet. Une première édition de ce festival dédié au tendances urbaines de la capitale espagnole promotionnée par des événements gratuits « en métro ». Les danseurs de LOKOMAMIA furent les premiers à tester le concept et à en juger par l’affluence et l’ambiance, ce fut un succès. Rendez-vous le 26 pour « A Skateboard Story », même heure et même endroit.

Photos: Paola Schneider

En classe, débattre du futur du journalisme

Sept chaises sur l’estrade. Nos professeurs ont rejoins le banc d’étudiants, nous laissant occuper la place de celui qui parle. Une place vide. “Quelqu’un pour remplacer Gustavo?”. C’est l’assistance que nous consultons, ou plutôt nos collègues de classe, Laura se sacrifie. Nous voilà au complet. À trois contre trois, séparés par un modérateur, le groupe débâtera sur le futur du journalisme, défendant une vision ou l’autre, positive ou pessimiste.

Quelque chose sonne faux. Nous, étudiants en journalisme, en arrivons en mettre en doute notre propre légitimité ? Ou sommes nous simplement conscients que ce qui nous attend n’est pas de travailler comme journaliste sinon comme communicant ? Il m’incombe de défendre que le journalisme, malgré les mutations qu’il connait, continuera d’exister en raison de son rôle comme élément clé de l’espace public. Une postulat rendu caduque par certaines évidences comme la perte de confiance du public en les médias, la difficulté à établir de nouveaux modèles économiques adaptés à Internet et le fait qu’au jour d’aujourd’hui chacun peut prétendre à informer en créant son propre blog sans grandes difficultés. Tendances nouvelles et véridiques ou idées transmises par la pensées commune ?

A en croire les enquêtes sur les pratiques culturelles, si nous lisons de manière distincte en fonction du support, nous lisons plus qu’avant. Comme l’explique Daniel Hillis 1, une société aspirant à plus de démocratie et plus de libertés implique de la part des citoyens des prises de décision. Cela va de pair avec une soif accrue d’information. Comme le démontre Tom Rosenstiel 2, les grands médias de communication sont toujours les acteurs majeurs de celle-ci. Les scandales journalistiques, celui des écoutes pratiquées par News of the World ou le cas Jayson Blair au New York Times ne sont pas chose nouvelle. Se rappeler du l’affaire Dreyfus ou de la propagande anti-Allende menée par le journal chilien El Mercurio nous confirme que le journalisme sans faille n’a jamais existé et que plus d’une fois son rôle de contre-pouvoir a été remis en question.

Internet, un espace infini dont la serendipité et les possibilités de partage sont l’opportunité de voir s’élargir l’agenda médiatique et s’enrichir ses contenus. Un thème qui ne cesse de revenir sur le tapis, le futur du format papier. Dans les deux camps, on admet que jusqu’aux publications les plus réputées, Le Monde, The New York Times ou El País, sont face à des difficultés économiques et temporelles qui affectent leur qualité. Javier, défendant du pessimisme, émet l’idée selon laquelle la version électronique d’ El País n’est pas du même acabit que son homologue de papier, qu’elle est bien trop soumise à la course à la montre. Les éditions jamais imprimées sous presse, tel OWNI ou The Huffington Post, fourniraient-elle les meilleures interfaces et les meilleurs contenus en ligne? Stratégies payantes, financement par prestation de service ou modèle participatif, des formules qui tâtonnent mais semblent en voie vers un équilibre économique, parfois même sans publicité. Pour les amoureux du papier, Mediapart propose même à ses abonnés d’imprimer La Une. Comme le dit Soledad Gallego-Díaz, « ça m’est égal le papier ou la tablette ». S’accrocher à un format n’est que nostalgie, un peu comme Socrate prévenant des dangers de l’écrit.

Chacun peut rédiger son blog. Mais qui sont ces « chacun » ? Boulangers, médecins, électriciens ? Pour certains d’entre eux, sûrement. Cependant, en majorité, ce sont des étudiants en journalisme, des journalistes, des experts. Combien sont lus ? Peu. Internet, c’est une possibilité de s’exprimer, un faire-valoir de son talent, mais cela ne signifie en aucun cas que le journaliste ai perdu son rôle de médiateur, car il est un professionnel, avec une éthique et des compétences, une connaissance du monde des médias et une créativité expressive. Au contraire, il doit récupérer la confiance de ses lecteurs, auditeurs, téléspectateurs. Se libérer des pressions politiques, économiques et temporelles, refuser que soit dévalorisé son travail, s’insurger contre ceux qui font de l’information un produit pour un usager. Si te van a matar, no te suicides 3

atmosphère #1 – Mercado San Miguel con Raimundo Amador

Lundi 21 mai, le Marché San Miguel de Madrid célèbre son troisième anniversaire. Construit en 1916, l’édifice de fer s’est transformé depuis peu en un marché gastronomique classé bien d’intérêt culturel. Situé à deux pas de la Place Mayor, il attire touristes et fins gourmets mais accueille également de nombreux événements grâce à sa technologie moderne.

On se demandait où ils allaient bien le mettre, entre verres de vins et pinchos. Mais c’est à l’un des balcon intérieurs qu’apparaît Raimundo Amador, guitariste flamenco des plus célèbres. Le sévillan à collaboré avec les plus grands, de Camarón de la Isla et Paco de Lucia à B.B King. En compagnie plus modeste mais non moins enchanteresse, il dédit une petite demi-heure au public où se mêlent touristes dont peu connaissent sa réputation et espagnols avisés.

Traditionnels clappements de mains et acclamations vocales sont au rendez-vous. Un spectacle gratuit qui vient compenser les prix du marché, seul bémol qui trahit les habitudes espagnoles.

Le Petit Plus : Télecharge ce podcast du Live !
Yo te canto Camarón – Raimundo Amador

KONY 2012: humanitaire et viralité

« NOTHING IS MORE POWERFULL THAN AN IDEA, WHOSE TIME AS COME, WHOSE TIME IS NOW »

Kony 2012, ou révéler au monde l’histoire des enfants soldats ougandais et de leur leader Joseph Kony. Avec 70 millions de vues en six jours, Kony 2012 c’est convertie en la vidéo la plus virale de l’Histoire. Un tel succès peut-il venir d’un soudain intérêt public pour la question ? Sûrement pas. La tragédie ougandaise dure depuis plus de vingt ans et a été documentée par le passé. La clé de la réussite, une utilisation à point de techniques de communication pensées pour les réseaux sociaux. Appliqués a des fins humanitaires, des moyens qui ne peuvent que susciter le doute quant à l’honorabilité du projet.

Bien qu’y prétendant, Kony 2012, ce n’est ni un film documentaire ni du journalisme. Réduisant le problème à un seul homme, Joseph Kony, la vidéo simplifie dangereusement la situation socio-politique du pays et de sa région. Un agenda en retard, puisque Kony a quitté l’Ouganda il y a maintenant six ans et que la priorité consisterais désormais à aider une population malade et déscolarisée 1 plutôt qu’à agiter le portrait de son démon.

Une schématisation des fait tout droit inspirée du conte pour enfant, qui oppose le bien au mal de manière quasi évangéliste. L’affrontement en question n’est pas celui du chef de la LRA (Lord’s Resistance Army) au peuple qu’il à fait martyr, sinon à Jason Russell, réalisateur de Kony 2012, fondateur de l’association Invisible Children 2 et héros des temps modernes. Mais cette personnification de l’histoire ne s’arrête pas là puisqu’elle inclut également Davon, l’adorable fils de Russell, dont l’innocence des mots ne peut vous laisser indifférent. La vérité sort de la bouche des enfants. Si cela fonctionne si bien, c’est grâce à un langage cinématographique hollywoodien qui n’appelle pas à la raison mais à l’émotion et à l’action immédiate. De l’intime au général, usant de musique, de flashback, et s’adressant au spectateur à la première personne, Russell attire son attention. Il maintient le suspens jusqu’à révéler la solution ; suite au prochain épisode.

La campagne de Invisible Children, légitimant son discours à travers le témoignage du jeune Jacob, ne tient en réalité pas compte du peuple et du public ougandais. Sur un ton néo-colonial et sans mandat, l’association livre un discours interventionniste qui l’érige en sauveur, confondant aide et ingérence. Comme le manifestent les victimes de Joseph Kony, si la vidéo émotionne et motive les jeunes occidentaux, elle provoque chez eux souffrance. Cet homme, ils ne veulent pas le voir célèbre, son visage, ils voudraient l’oublier.

Les collaborations de Russell et ses compagnons suscitent également des questions : difficile de préconiser un monde meilleur aux côtés de l’UPDF 3 ou encore G.W Bush. Des soutiens qui toutefois ont du sens, sachant que Invisible Children préconise une intervention militaire en Ouganda. Des procédés occultes qui, à en croire Charity Navigator 4, vont de pair avec des failles de gestion et un manque flagrant de transparence. Sur quatre étoiles dans ce domaine, l’organisation indépendante évaluant les œuvres caritatives américaines, n’en attribue que deux à Invisible Children. En 2011, de ses 8 millions de frais, seulement 30% furent consacrés à l’action sur le terrain, le reste ayant été dédié aux voyages, à une production audiovisuelle foisonnante ainsi qu’à la promotion de l’association.

Quelles pourraient-être les conséquences de telle propagande ? En regardant Kony 2012, m’est venu un souvenir. Ces jeunes en masses aux gestes et aux mots synchronisés, je l’ai avait déjà vu, dans le film La Vague (Die Welle). Mais alors que Dennis Gansel met-en-scène les risques, Jason Rusell les prend. Kony 2012 se donne 30 minutes pour éveiller chez le viewer un sentiment d’appartenance au groupe, ou plutôt, à son « armée de jeunes gens ». Des stratégies de communication qui ont fait leur preuves : similitude vestimentaire, symboles fédérateurs (dont le symbole « peace » à l’envers), des ordres clairs et simples (partage, donne). Par ailleurs, la représentation de Kony génère un certain malaise. Il apparaît aux côtés de Hitler ou Ben Laden dans une campagne de « publicité » (au sens strict du terme) évoquant fortement celle d’Obama dû à la participation graphique d’OBEY. Invisible Children recours à des techniques similaires à celles de dictateurs dont ils n’est pas nécessaire de rappeler les noms, en y ajoutant une mise à jour 2.0. Bien que la finalité du projet n’y puisse être comparée, la simple utilisation de ces méthodes devrait attirer l’attention. Car chaque manipulation, quelque soit son objectif, doit être dénoncée. Des millions de jeunes ont acheté l’ « action kit » et ont glissé un numéro à leur poignet. Sous couvert de lutter au nom de la paix et la justice et au moyen d’une propagande inversée, Kony 2012 les incite à réclamer la guerre.

Comme l’a démontrés le printemps arabe, lorsque utilisés par un peuple pour sa lutte, les réseaux sociaux sont des outils incroyables. Si arrêter Joseph Kony est une nécessité, que le phénomène viral en question eu le mérite de faire de ce thème une composante de l’agenda médiatique, il à également démontré combien le pouvoir procuré par les réseaux sociaux peut se montrer dangereux lorsque l’utilisateur réagit avant de penser. Une vidéo virale fonctionne selon certaines normes. Ces normes bafouent toute éthique journalistique ou documentaire. Le printemps arabe c’est l’émanation d’un peuple qui construit sa lutte. Kony 2012, c’est l’illusion d’une inversion de pouvoir quand en réalité sont maintenues hiérarchie sociale et culturelle.

1 Rose Bellkagumire, « My response to Invisble Children campaign »