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KONY 2012: humanitaire et viralité

« NOTHING IS MORE POWERFULL THAN AN IDEA, WHOSE TIME AS COME, WHOSE TIME IS NOW »

Kony 2012, ou révéler au monde l’histoire des enfants soldats ougandais et de leur leader Joseph Kony. Avec 70 millions de vues en six jours, Kony 2012 c’est convertie en la vidéo la plus virale de l’Histoire. Un tel succès peut-il venir d’un soudain intérêt public pour la question ? Sûrement pas. La tragédie ougandaise dure depuis plus de vingt ans et a été documentée par le passé. La clé de la réussite, une utilisation à point de techniques de communication pensées pour les réseaux sociaux. Appliqués a des fins humanitaires, des moyens qui ne peuvent que susciter le doute quant à l’honorabilité du projet.

Bien qu’y prétendant, Kony 2012, ce n’est ni un film documentaire ni du journalisme. Réduisant le problème à un seul homme, Joseph Kony, la vidéo simplifie dangereusement la situation socio-politique du pays et de sa région. Un agenda en retard, puisque Kony a quitté l’Ouganda il y a maintenant six ans et que la priorité consisterais désormais à aider une population malade et déscolarisée 1 plutôt qu’à agiter le portrait de son démon.

Une schématisation des fait tout droit inspirée du conte pour enfant, qui oppose le bien au mal de manière quasi évangéliste. L’affrontement en question n’est pas celui du chef de la LRA (Lord’s Resistance Army) au peuple qu’il à fait martyr, sinon à Jason Russell, réalisateur de Kony 2012, fondateur de l’association Invisible Children 2 et héros des temps modernes. Mais cette personnification de l’histoire ne s’arrête pas là puisqu’elle inclut également Davon, l’adorable fils de Russell, dont l’innocence des mots ne peut vous laisser indifférent. La vérité sort de la bouche des enfants. Si cela fonctionne si bien, c’est grâce à un langage cinématographique hollywoodien qui n’appelle pas à la raison mais à l’émotion et à l’action immédiate. De l’intime au général, usant de musique, de flashback, et s’adressant au spectateur à la première personne, Russell attire son attention. Il maintient le suspens jusqu’à révéler la solution ; suite au prochain épisode.

La campagne de Invisible Children, légitimant son discours à travers le témoignage du jeune Jacob, ne tient en réalité pas compte du peuple et du public ougandais. Sur un ton néo-colonial et sans mandat, l’association livre un discours interventionniste qui l’érige en sauveur, confondant aide et ingérence. Comme le manifestent les victimes de Joseph Kony, si la vidéo émotionne et motive les jeunes occidentaux, elle provoque chez eux souffrance. Cet homme, ils ne veulent pas le voir célèbre, son visage, ils voudraient l’oublier.

Les collaborations de Russell et ses compagnons suscitent également des questions : difficile de préconiser un monde meilleur aux côtés de l’UPDF 3 ou encore G.W Bush. Des soutiens qui toutefois ont du sens, sachant que Invisible Children préconise une intervention militaire en Ouganda. Des procédés occultes qui, à en croire Charity Navigator 4, vont de pair avec des failles de gestion et un manque flagrant de transparence. Sur quatre étoiles dans ce domaine, l’organisation indépendante évaluant les œuvres caritatives américaines, n’en attribue que deux à Invisible Children. En 2011, de ses 8 millions de frais, seulement 30% furent consacrés à l’action sur le terrain, le reste ayant été dédié aux voyages, à une production audiovisuelle foisonnante ainsi qu’à la promotion de l’association.

Quelles pourraient-être les conséquences de telle propagande ? En regardant Kony 2012, m’est venu un souvenir. Ces jeunes en masses aux gestes et aux mots synchronisés, je l’ai avait déjà vu, dans le film La Vague (Die Welle). Mais alors que Dennis Gansel met-en-scène les risques, Jason Rusell les prend. Kony 2012 se donne 30 minutes pour éveiller chez le viewer un sentiment d’appartenance au groupe, ou plutôt, à son « armée de jeunes gens ». Des stratégies de communication qui ont fait leur preuves : similitude vestimentaire, symboles fédérateurs (dont le symbole « peace » à l’envers), des ordres clairs et simples (partage, donne). Par ailleurs, la représentation de Kony génère un certain malaise. Il apparaît aux côtés de Hitler ou Ben Laden dans une campagne de « publicité » (au sens strict du terme) évoquant fortement celle d’Obama dû à la participation graphique d’OBEY. Invisible Children recours à des techniques similaires à celles de dictateurs dont ils n’est pas nécessaire de rappeler les noms, en y ajoutant une mise à jour 2.0. Bien que la finalité du projet n’y puisse être comparée, la simple utilisation de ces méthodes devrait attirer l’attention. Car chaque manipulation, quelque soit son objectif, doit être dénoncée. Des millions de jeunes ont acheté l’ « action kit » et ont glissé un numéro à leur poignet. Sous couvert de lutter au nom de la paix et la justice et au moyen d’une propagande inversée, Kony 2012 les incite à réclamer la guerre.

Comme l’a démontrés le printemps arabe, lorsque utilisés par un peuple pour sa lutte, les réseaux sociaux sont des outils incroyables. Si arrêter Joseph Kony est une nécessité, que le phénomène viral en question eu le mérite de faire de ce thème une composante de l’agenda médiatique, il à également démontré combien le pouvoir procuré par les réseaux sociaux peut se montrer dangereux lorsque l’utilisateur réagit avant de penser. Une vidéo virale fonctionne selon certaines normes. Ces normes bafouent toute éthique journalistique ou documentaire. Le printemps arabe c’est l’émanation d’un peuple qui construit sa lutte. Kony 2012, c’est l’illusion d’une inversion de pouvoir quand en réalité sont maintenues hiérarchie sociale et culturelle.

1 Rose Bellkagumire, « My response to Invisble Children campaign »